De nuit ~ [PV Chelsea Angelou !]

« Comme les roses, nous fanons, nous mourrons. »
- It was Written in the blood, Bring Me the Horizon -

Une bouchée, deux bouchées, trois bouchées, quatre bouchées... cœur de pomme !

Faily était étendue sous l'insondable ciel d'onyx, sur l'une des hautes tours du territoire Foudre, à croquer dans une pomme sûre à souhait cette fois-ci bien payée au marchand. La paisible atmosphère des hauteurs calmait sa blessure intérieure ainsi que ses pensées agitées. Les étoiles étaient rares et la voûte se faisait lourde, presque écrasante, même que sous cette imposante présence Cassandre se tenait tranquille; aucun vision ne l'avait assaillie depuis qu'elle avait grimpée sur son perchoir. Ne me demandez pas comment, ça a du bon d'être voleur. Tout le monde a ses petits secrets...
Elle n'avait pas d'obligations propres, ni d'horaire fixe, alors cette liberté bienfaitrice lui était accordée à toute heure du jour ou de la nuit et rarement elle se contraignait à dormir dans sa petite cachette sans en avoir l'envie. C'était sans équivoque l'une des principales raisons pour lesquelles elle ne s'en faisait pas de ne pas avoir un vrai poste dans la hiérarchie sociale et de n'apparaître sur quasiment aucun papier, excepté peut-être les recensements généraux d'habitants. Ou des documents sur les réincarnations comme il devait sûrement en exister.

Ah... et dire que c'est bien la seule chose qui la rendrait intéressante aux yeux des autres. Ce qui est probablement aussi la seule chose qui la rende différente des autres. Sans cette tare, sans avoir vécu une vie précédemment, aurait-elle été élevée comme les autres enfants l'ont été ? Aurait-elle eut le droit de sortir de la maison ? Probablement, selon ce que la froide dame lui dit jadis. Pourtant, on ne pouvait en être sûr. La seul conviction que Faily avait, c'est que cette nuit sans Lune allait être l'unique témoin d'une rencontre particulière entre elle et un autre habitant de l'Enfer Céleste. Pas n'importe lequel, selon son pressentiment. Et bientôt, elle devrait descendre de la tour comme elle y était monté pour croiser l'inconnu dont ses visions persistaient à lui cacher l'identité. La voleuse était curieuse. Cela se produisait rarement... d'ordinaire, ses prémonitions étaient claires, directes et ne jouaient pas les cachotières avec elle. Si elles commençaient à faire les capricieuses ou encore à perdre de la fiabilité, qui sait ce qui pourrait lui arriver. Faily s'appuyaient totalement sur son don pour sa sécurité. Éviter les problèmes était le content des voleurs mais sans bonne intuition...

Ce petit soucis lui donna une crampe à l'abdomen. Elle refusa de se laisser submerger par la douleur et l'inquiétude alors qu'elle avait réussi à calmer son démon et arriver à un certain état de sérénité vague. Faily se força au calme, et du fait même se crispa. Elle s'assit brusquement, prise de crampes détestables.

« Merde... » jura-t-elle en murmurant.

Puis, en un éclair de conscience, Cassandre lui imposa la vue d'une rue plus bas, illuminée par les lampadaires néons des Foudres, où un homme à la grande stature s'engageait. Faily sut. C'était lui, et il s'approchait. La voleuse lâcha un autre juron et sauta sur la balustrade tout près, une main sur son ventre tordu de douleur et la cape au vent. Elle descendit aussi vite que son corps meurtri et fragile le lui permit puis suivit son instinct qui lui indiquait quel coin de rue franchir.
Elle courait dans le silence mort de la nuit, ses pas légers et rapides succédés par des claquement de houppelande. Ses cheveux prenaient une teinte encore plus vive sous la lumière froide des lampadaires et sa peau passait de porcelaine à première neige. Ses yeux, quant à deux, paraissaient foudroyants, un brin surnaturels.

Stop !

C'était là. Juste de l'autre côté de l'édifice de ciment blanc auprès duquel elle se tenait. L'homme à la carrure immense dont elle avait aperçut la venue en pensée tournait le coin là-bas, et elle l'entendait, tout près.

Faily rabattit son capuchon sur son visage, habitude sans raison initiale, et tourna le coin. Il était encore plus grand que dans ses visions, c'était horrible : elle aurait jurée qu'il aurait pu la briser en un seul tour de poignet. Elle frissonna. Ses crampes persistaient, mais cela restait supportable, dans la mesure de la normalité quotidienne.
Mais, sur le fait, elle réalisa son ridicule : elle ne savait pas quoi faire. Oui, bon, ses visions l'avaient conduites vers lui, Dieu seul sait pourquoi, mais elle n'avait tout de même rien à dire ! Imaginez qu'il se sente dérangé, qu'il la tasse d'une bonne mornifle, et la voilà partie vers les bonnes vieilles étoiles. D'une puérilité...

Alors, faute de savoir quoi vraiment faire, elle le laissa s'approcher.
En ce moment, elle aurait voulu trucider sa personne de son ancienne vie qui la hantait. Ô que oui.

Spoiler:

Plus de clopes ? Comment ça, plus de clopes ?! En constatant cela, Chelsea Angel crut qu’il allait sérieusement balancer son bureau à travers ses magnifiques baies vitrées – sans se donner la peine de les ouvrir, bien entendu. Ce n’était pas possible, il en avait encore quelques une lors de son entretien avec Drev. Le chef du clan Foudre se mit donc à réfléchir. Où avaient-elles bien pu passer ? Bon. Prenons les choses dans l’ordre. Il y avait ce mec, là, qui était venu le gonfler avec ses conseils concernant les directions que devaient prendre le clan pour le plus grand bien de tous, soi-disant. N’avait-il pas compris que Chelsea était un chef tout à fait compétant et qu’il n’avait pas besoin de ses conseils ? N’avait-il pas compris que Chelsea était l’unique et le plus grand chef ? N’avait-il pas compris que Chelsea était le seul qui les mènerait à conquérir, encore et toujours plus ? Apparemment… Non. Chose qui eu le don d’agacer le jeune chef plus que de raison. Et, comme il ne pouvait pas délibérément lui couper la tête, voilà où était passée l’une de ses cigarettes. Ensuite… Ensuite, c’était cet abruti de Graham. Ouais, il lui avait encore donné un de ses surnoms débiles dont il avait le secret… Déjà suffisamment énervé, il avait en plus fallu qu’un abruti rigole à la plaisanterie de l’autre crétin. Bien entendu, s’il coupait les têtes pour de telles contrariétés, il n’aurait vite plus aucun homme… Alors, après une réponse on ne peut plus agressive, il était retourné dans son bureau. Encore une cigarette en moins. Et puis, il y avait eu cette fille qui avait refusé de coucher avec lui l’autre soir… Et de trois. Déjà suffisamment énervé pour un motif insignifiant, repenser à ces quelques passages peu plaisants ne fit que l’énerver plus encore. Son pauvre bureau était vraiment à deux doigts de passer par la fenêtre.

Il fallait absolument qu’il trouve une solution pour remplacer la cigarette. Tournant comme un lion en cage dans son bureau, il se sentait à deux doigts de la crise de nerfs. Sa main était tellement serrée sur son épée que ses articulations en étaient terriblement blanchies. Son sang de conquérant bouillonnait dans ses veines et lui donnait plus encore le désir d’aller abattre ses Foudres sur les Terres du Sud. Sa colère et ses hommes qui ne ferait plus qu’un et qui lui offriraient les vies des Tempêtes… Son doux fantasme aurait dû l’apaiser. Au contraire, l’inaccessible fit accroître son agacement. Sentant qu’il regretterait de se débarrasser de son bureau en brisant ses fenêtres, une idée lui vint, salvatrice. Prendre un bol d’air frais lui serait sûrement bénéfique. Certes, il faisait sombre, et il pouvait se faire agresser à tout moment, en tant que chef de clan peu apprécié, qui plus est. Mais l’obscurité et ses dangers ne l’effrayait pas – il ne manquait plus que ça, un chef lanceur de guerre effrayé par quelques ombres… Au contraire, tout ce qui était noir l’attirait inévitablement, comme un écho de son cœur à la nuit sans lune. Il sortirait. Sa décision était prise. Bien entendu, il lui faudrait quelques précautions… Il n’y manquerait pas. Il refusait de mettre bêtement sa vie en danger. Raison pour laquelle il décida de rester sur ses propres terres. Inutile d’aller se faire exécuter en se promenant ailleurs… Et donc, après être sorti de son bureaux à grandes enjambées rageuses, avoir claqué la pauvre porte de son bureau qui allait finir par céder s’il continuait à ce rythme, le chef cracha un " je sors" agressif à son second et, dans ses appartements, se prépara à son escapade, si je puis dire ainsi.

Protéger son anonymat serait certainement la chose la plus censée à faire. Bien entendu qu’il n’aimait pas se cacher. Mais il chérissait sa position de Chef plus que tout, alors même s’il faudrait se promener sans dévoiler son visage pour conserver la vie et du même coup son titre, il était prêt à se camoufler. Et le voilà qui portait une longue cape noire et rabattit son capuchon sur ses boucles et ses yeux. Bien. Certes, il avait l’air on ne peut plus louche habillé ainsi. Mais à cette heure, dans l’obscurité régnante, sur les terres des Foudres, il n’était pas si surprenant de croiser des individus à l’allure étrange, des individus dont il fallait se méfier, surtout en vue de la longue épée qui ne quittait jamais son dos. A son propos, Chelsea ne s’inquiétait pas trop : les seules personnes qui l’avaient vu de suffisamment près pour la reconnaître, excepté son second et peut-être quelques rares élus, étaient tous mort. Et de nouveau, la nuit serait sa meilleure alliée. Il sortit ensuite et dévala les escaliers, pour deux raisons : d’abord, ceux-ci étaient assez peu utilisés, et il craignait trop de faire un meurtre s’il croisait quelqu’un qui osait lui faire une remarque. Ensuite, fondamentalement et même si les ascenseurs étaient relativement rapides, il leur préférait l’activité, la mobilité que lui offrait les escaliers. Chacun son truc, hein.

Il avait pressenti que la nuit serait sa meilleure alliée… Cela allait au-delà de ses espérances. Certes, il était délicatement éclairé par les lampadaires. Mais pas suffisamment pour qu’on l’identifie autrement que comme un colosse parmi les Foudres. L’air frais de la nuit lui permit de se calmer assez vite, plus rapidement qu’il ne l’aurait cru. Mais il eut un pressentiment. Il n’avait pas envie de rentrer. Il avait l’impression que ce serait une erreur. Alors, tant qu’à faire, il continua à se promener d’une démarche vive qui le caractérisait. Il n’avait pas d’itinéraire précis, laissait ses pas, qui avaient une parfaite connaissance des rues de son territoire, le guider. Et forcément, à errer ainsi, il finit par tomber sur quelqu’un. Il sentit sa présence avant de la voir, comme il en avait prit l’habitude pour chaque personne. Mais elle… N’était pas comme chaque personne qu’il rencontrait d’ordinaire. Elle n’était pas n’importe qui. Du plus profond de son être, il le ressentait. Et son sentiment s’intensifia alors qu’il s’approchait. Sa frêle silhouette était néanmoins attirante – Chelsea faisait toujours attention à cela. Elle était tout son contraire. Là où elle était d’apparence fragile, il semblait aussi dur que du roc. Elle était petite en comparaison du géant qu’il était. La liste serait bien longue, ainsi. Mais il y avait autre chose, une chose qu’ils partageaient, en quelque sorte. Et pas le fait qu’ils soient habillés de façon similaire. Non, c’était un sentiment à la fois infime et sourd, une sensation anormale de familiarité étrangère. Comme s’ils avaient un point commun mais que cette convergence était également une différence. Cela intrigua la réincarnation d’Attila, qui se promit de découvrir ce qu’il en était réellement. Un sourire torve se dessina sur ses lèves alors qu’il prit la parole, de son ton habituellement dur.

" Qu’est ce que tu fais sur ces terres ? "

Car il ne lui semblait pas avoir déjà vu cette silhouette chez lui. D’ordinaire, sa vanité lui aurait hurlé de dire "mes terres ". Mais là, son instinct, auquel il se fiait toujours, lui signifiait qu’il apprendrait sûrement plus de choses s’il ne signalait pas qu’il était le chef de clan, réputé pour être si mauvais et si cruel.

Spoiler:

Oh, merde. Cassandre, je te hais. Cassandre, je te déteste à un tel point...

Il s'était bien approché. Puis ça s'était tout éclairci; dans son esprit, des images défilèrent : un garçon, encore jeune, le visage voilé de rouge, le corps tremblant, de faiblesse ou de rage, ne sait-on jamais. L'amertume bouillonnait en tous sens, dans un brouillard aux gouttelettes de sang, à travers la vue d'armes et de poings d'abattant sur elle à perpétuité, inlassablement accompagné d'un cri à l'écho démentiel, une furie sans nom. Il y avait des combats, de la souffrance, une pincée si infime de tendresse, étouffée par la violence. La rancœur se répercutait sur toutes les âmes qu'il croisa, des hommes inanimés, des femmes effrayées, une fenêtre défoncée... puis un adulte, terrifiant dans toute sa hauteur, fier sur un perchoir en suspension dans les airs, des milliers de soldats à ses pieds. Le vent était sauvage, puissant, mais rien ne semblait à même de stopper ce titan de chair et de sang. Le roi cria, éclat qui fit écho dans la bouche de chacun de ses guerriers, puis une ville fut envahie, baignée de rubis mortel. Elle vit aussi un homme, plus jeune que le précédant, toiser de haut un autre à l'aspect effroyable, familier au sien. Puis la tête de celui qui était sol roula.
Pour couronner le tout, des lèvres masculines à l'expression las expirer une bouffée de fumée de cigarette.

Cette chienne de Cassandre l'avait conduite directement vers le pire homme de tout l'Enfer Céleste. Jamais la voleuse n'avait ressentie telle animosité dans ses visions. Ses petites mains de porcelaine en tremblaient dans sa sombre houppelande. Elle releva brusquement les yeux lorsqu'il lança durement :

« Qu'est-ce que tu fais sur ces terres ? »

Il avait bien le droit de savoir, en tant que Chef...

Mais combien d'hommes a-t-il bien pu tuer ?

Cette question lui sauta au visage lorsqu'elle nota l'immense épée dans son dos. Épée proportionnelle à sa personne. Ce n'était pas peu dire qu'il était effrayant... sa propre faiblesse lui paraissait médiocre, si petite. On ne l'avait pas dotée de la force, seulement d'une tare inutile qui lui servait à l'envoyer dans la gueule du loup La folle d'Exécuteur, puis son propriétaire ? Bon sens, mais qu'est-ce qu'elle avait avec les Foudres, dites-moi ? Malgré que si elle ne tenait pas à en croiser, suffisait de ne pas se tenir sur leur territoire...
Tout de même. Tomber sur un discret petit Nuage, ou une sotte d'Étoile, ça pourrait être plus reposant que des décapitators en règle.

Faily pinça les lèvres. Elle n'avait pas du tout envie de se retrouver une épée à travers les entrailles, autant que l'idée de la faux ne l'avait pas réjouie précédemment. De nos jours, on ne savait plus comment faire pour ne pas énerver les gens. Elle admettait cependant que le silence serait d'autant plus arrogant. Peu convaincue, et lui répondit d'une voix pourtant bien claire, quoique délicate, à l'accoutumée.

« Rien de mal... »

...car je sais combien je suis facile à briser pour des gens comme vous. Parfois, ne révéler qu'une part de ce que l'on pense peut avoir du bon. Parfois... bien plus souvent que l'on peut le croire.

« ...je devais seulement me trouver ici, à ce moment précis. »

Cette fois-ci, c'est bien parce qu'elle n'en savait bien honnêtement rien de plus. Chelsea était un Chef, redouté et avec raison, mais ce n'était pas un motif valable pour que Cassandre s'emballe autant. Bien qu'à travers l'aura féroce du Foudre il y avait une parcelle unique, quelque chose mis à part, un peu comme elle le sentait en elle. Un lien, mais si modique qu'il était quasiment improbable que ça en soit la cause. Un géant politique n'allait certainement pas perdre son temps à baragouiner avec elle de choses insignifiantes, et encore moins un géant politique à l'influence guerrière. Surtout que, selon la hiérarchie, elle n'était rien. Rien qui puisse lui faire obstacle. Peut-être cela le pousserait-il à passer son chemin. Peut-être.

La voleuse, irritée par la réticence de son don à lui confier ce pourquoi Angel le magnétisait, commençait à suffoquer dans sa cape. La nuit, bien que fraîche, n'avait su apaiser la vague de chaleur qui suivit ses tremblements. Faily était un insecte, pour cet homme; alors pourquoi s'en faire? Elle retira le capuchon de sa pelisse grise, soulagée de sentir l'air frais lui caresser les tempes. Ses cheveux azur retombèrent par en avant, indomptables, et elle y passa les doigts pour y refaire passablement de l'ordre. Sa peau de neige, exposée aux lampadaires, semblait féérique, ou encore plus maladive, selon les points de vue.

« Mais maintenant que c'est fait, je peux m'en aller, si je vous incommode. »

Gah, quelle ironie. Elle s'était toujours sentie dérangeante pour l'univers en entier, un parasite malsain s'entêtant à rester en vie. Si éphémère...
Elle était curieuse de voir qu'est-ce qu'un grand tueur politiquement correct allait pouvoir répondre.

Spoiler:

Alors même qu’il venait de lui demandait ce qu’elle faisait là, Chelsea réfléchissait. A quel clan pouvait-elle bien appartenir ? Certainement pas au sien. Il l’aurait certainement déjà vue auparavant si c’était le cas. Et son aura avait quelque chose qui faisait qu’il ne pouvait croire qu’il ne l’avait pas déjà vue. Tempête ? Non. Il ne voyait pas en quoi cela pourrait être possible. Après tout, les Tempêtes, à moins d’être fous, ne venaient pas sur les terres des Foudres… Excepté les terres de l’ouest. Il savait parfaitement qu’il n’y avait pas que des membres de son clan qui y mettaient les pieds… Il allait devoir songer à renforcer la sécurité… Cependant, ce n’était pas le sujet sur lequel il souhaitait se pencher à cet instant. Non, il devait réfléchir. D’où elle sortait ? Foudre et Tempêtes étaient exclus. Restait les Nuages, les Vents et les Etoiles. Il n’avait pas d’idée claire entre ceux-là. Nuage lui semblait cependant peu probable : elle lui paraissait bien trop fragile pour cela. Cette idée ne ferait que s’accentuer lorsqu’elle retirerait son capuchon. Et puis, il devinait la peur qu’elle ressentait… Non, c’était une fille de chez les Vents ou des Etoiles. Rien de bien dangereux, somme toute. Bien entendu, il ne se détendait pas pour autant. Il savait combien les apparences pouvaient tromper et, même sans cela, il n’était pas suffisamment stupide pour se relâcher devant un éventuel ennemi… Déjà qu’il ne se relâchait pas face à ceux qui pourraient, à défaut de devenir ses amis car il ne voulait pas d’amitié, devenir ses alliés… Cependant, cette fille avait quelque chose. Il le sentait, du plus profond de son âme souillée par le sang. Une chose qui les rapprochait sans qu’elle soit identique… Et ignorait ce dont il s’agissait l’agaçait plus que de raison.

Heureusement, l’air frais de la nuit l’aidait à garder son calme. La frêle demoiselle lui répondit donc. Bien entendu, rien de tel que cette réponse pour exciter la paranoïa d’Angel. Rien de mal, hein ? Parce qu’elle avait quelque chose à se reprocher ? Elle pensait qu’il croyait qu’elle voulait se rendre capable d’un crime quelconque et tentait de l’éloigner de cette idée en se faisant passer pour une innocente poupée de porcelaine ? Peut-être que c’était lui qu’elle voulait tuer ? Bien entendu, il devinait bien à quel point ses scénarii étaient tordus. Il se doutait bien qu’il était grotesque de penser qu’elle pourrait songer à l’agresser, rien que part leurs carrures respectives. Et c’est entre autre pour cela qu’il ne laissa rien paraître des pensées étranges qui lui parcouraient l’esprit. L’une des autres, c’était bien sûr qu’il ne laissait jamais ou presque les gens savoir ce qu’il pensait vraiment. Cela était bien trop dangereux, et il pouvait y avoir des espions partout. D’ailleurs, la probabilité qu’elle soit une espionne existait bel et bien. Chelsea décida de redoubler de prudence. D’ailleurs, elle venait de dire qu’elle était ici parce qu’elle devait se trouver là. Il ne pouvait s’empêcher de trouver ça louche. Elle devait ? Et qui lui avait donné cet ordre, hein ? Elle-même ? A moins d’être sérieusement particulier, on ne disait pas qu’on devait, en ces cas, mais plutôt que l’on voulait, pas vrai ? Les mystères autour de l’inconnue s’épaississaient. Elle avait quelque chose, c’était sûr. Restait à définir quoi…

Qu’elle retire son capuchon ne l’aida pas vraiment. Lui-même commençait à avoir un peu trop chaud et pensait que c’était pour une raison similaire qu’elle avait agit ainsi. La nuit était fraiche, mais pas glacée non plus. Et Chelsea était tout sauf frileux. Néanmoins, il conserva son propre capuchon. Il ignorait parfaitement si elle avait deviné son identité. Il préférait ne prendre aucun risque jusqu’à être fixé. Elle ? Il ne savait pas du tout qui elle était. S’il faisait secrètement des recherches autour des Réincarnations, comme lui, persuadé qu’il trouverait dans leurs mystères ce qu’il cherchait, si l’appartenance à ces gens étranges de Faily n’était pas cachée, il lui fallait revenir trop loin dans le passé pour arriver jusqu’à elle. Peut-être qu’avec son nom, il trouverait… Ou pas. Quoi qu’il en soit, il lui fallait absolument trouver une solution pour connaître la source de ce sentiment étrange qui se nichait au plus profond de son cœur. Oui, ignorer une chose sur lui-même, surtout une chose qui le liait à autrui, le rendait presque totalement fou. Il devait absolument savoir ou la colère l’emporterait de nouveau. Si cela arrivait, il ne donnerait pas cher de la prochaine personne à croiser sa route… Voire même de Faily, si celle-ci l’énervait d’une quelconque façon, consciente ou pas… Sachant que la colère de Chelsea était aisément provoquée, s’il n’y mettait pas un peu du sien, il n’y avait que les mystères de la jeune femme qui, pour l’instant, la sauverait. Etrange paradoxe. C’était eux qui l’énervait, l’angoissait presque, et c’était eux qui feraient survivre la pâle poupée de porcelaine. Ce qui les liait avait inévitablement provoqué leur rencontre. Et advienne que pourra.

Sauf qu’apparemment, elle comptait s’en allait, comme ça. La demande parût d’autant plus culottée au colosse qu’il était le chef de clan, après tout ! Et elle ne s’était même pas présentée à lui… Non, non. Il fallait qu’elle reste. Il ne savait pas pourquoi mais il sentait qu’il devait absolument en apprendre un maximum sur elle. Et pour une fois, il n’avait même pas songé une seule seconde à la mettre dans son lit – il avait à peine apprécié son corps frêle de son regard perçant. Il refusait qu’elle parte. Si elle partait, jamais il ne connaîtrait le lien qui les unissait. Décidément… La fixant intensément, il répondit immédiatement.

" Reste. Et dis-moi qui tu es."

Son premier mot aurait pu paraître une supplique s’il n’était pas prononcé sur le ton de celui qui est habitué à donner des ordres… Ordres qui sont exécutés, bien entendu. En parlant d’ordre, admirez le second et le merveilleux double-sens qu’il comprenait, quand on y réfléchissait. Les mots étaient venus tout seul dans la bouche de Chelsea, et l’idée même du double sens, auquel seules les réincarnations pouvaient répondre, lui avait à peine effleuré l’esprit. Y aurait-il un vague éveil de son ancienne âme ou s’agissait-il d’une simple coïncidence ? Ca…

Ce n'était pas pour rien que Faily Muerte avait précédemment invoqué l'idée de faire demi-tour sans demander son reste. L'homme qui se tenait devant elle, nul autre que Chelsea Angel, était auréolé d'une suintante animosité. Non pas celle des brutes, petites racailles des ruelles, loin de là. Un prédateur en chasse, brillant, stratégique et puissant. Les éléments parfaits de la destruction réunis en un seul homme : intelligence, pouvoir et force. C'était catastrophique. Une peur viscérale était née en elle, aussitôt étouffée par un raz-de-marée de conviction et rationalité. Le calme était une arme fiable si bien affûtée. Dès que l'identité du Foudre lui fut révélée, l'augure ne le classa pas parmi les nombreux prétendants au titre de bourreau de sa personne, conformément à tous les êtres d'une violence assoiffée qu'elle avait pu croiser. Exemple premier : l'Exécuteur. Le Chef du Clan de la Foudre, quant à lui, semblait encore plus dévastateur et redoutable que tous les précédents. Un facteur important relié au cataclysme futur causant la fin de tout. Il était un conquérant, de toutes évidences, mais elle doutait que ce fait unique ne soit à l'origine même de son pressentiment. La fin de tout... non, plus la fin de l'humanité dont l'expiration s'était éternisée horriblement depuis quelques années. L'Enfer Céleste était conçu selon un concept de génie et nul doute que les machineries supporteraient des dizaines d'années encore. Cependant, Faily doutait que l'espèce humaine ne supporterais son infamie propre plus longtemps. Les meurtres se multipliaient, l'instabilité trop précaire de la politique n'assurait aucun avenir au peuple et les maladies commençaient à ronger les coins sombres des ruelles avec intensité. Elle-même était une juste représentation de la chose : fragile, mal-portante, sombre, condamnée... et pauvre. Financièrement, ça n'était pas un problème. Pauvre en allégresse, pauvre en bonhomie. L'humanité se tenait sur des échasses pointues, incapables de rester debout trop longtemps à cause de son constant déséquilibre. Et pour couronner le tout, les piliers sur lesquels elle daignait s'appuyer étaient des facteurs apocalyptique. Comme ce Chef, Angel. Elle s'entêtait à ne voir que l'ivresse de la puissance, le plaisir de la conquête au lieu de la survie nette et franche.
La réponse prompte et sec de son vis-à-vis coupa son flux de pensée d'une fraction de seconde.

« Reste. Et dis-moi qui tu es. »

Ordre. C'était un ordre, un commandement.
Instinctivement, Faily recula d'un pas. Cette question ne lui avait jamais été posée. On lui avait déjà demander son nom. Simple question : Faily Muerte. Cassandre était son don, une tare du passée qui avait survécu aux méandres du temps, rien d'autre. Elle n'accepterait aucune autre description. Mais qui elle était... qui diable pouvait bien s'en soucier ? C'était sans importance, elle n'était influente nulle-part, un insecte parmi tant d'autres. Cette fois-ci, par contre, cet échappatoire n'était pas possible ; la voleuse sentait bien que sans une réponse valable, son cou pourrait bien se rompre dans les secondes qui suivent. Elle devait faire face, trouver la solution pour sa survie immédiate. Qui elle était.

Qui je suis...

Bon Dieu, elle n'avait jamais été personne. Elle était morte-née, sans aucune vie. Mais si... si on le lui demandait, ça devait bien être qu'il y avait une réponse, véridique, indéniable. Si il y avait une chose que son don de clairvoyance lui avait apprise, c'est qu'aucune interrogation ne restait sans réponse. Au fil du temps, les secrets se révélaient les uns après les autres, comme pour l'identité effrayante de son interlocuteur. Mais le temps n'avait pas le temps de faire son œuvre en ces circonstances. C'était maintenant.
Est-ce que... est-ce que son nom suffirait à dire qui elle était ? Peut-être qu'elle était quelque chose de plus que Faily Muerte, après tout. Incertitude. Elle rejetait Cassandre. Alors logiquement, Faily Muerte n'englobait pas le tout. Du même coup, elle mentirait, acte quelque peu suicidaire. Ses visions n'étaient nullement classés secret-défense. Ceux au courant étaient au courant, voilà tout. De fil en aiguille, lorsque l'on pensait à elle, la capacité de voir en travers les voiles du temps était prépondérante. Cela devait-il signifier que c'était un élément majeur de sa description, de sa personne ? C'était inconcevable ; cette chienne de Cassandre avait créer son malheur tout au long de son existence. Qui s'infligerait volontairement tant de disgrâce ? Non, elle n'avait jamais souhaité tous ces événements... sa séquestration, sa famille, Einos, le bébé...

Un éclat de panique brilla dans le regard azur de la voleuse. Son esprit calculateur ne s'y retrouvait plus. Cela allait à l'encontre de tout ce qu'elle avait pu croire. Elle posa les yeux sur la silhouette imposante de Chelsea Angel. Pourquoi avait-il été en mesure de provoquer un bouleversement mental chez elle ? Normalement, son corps uniquement émettait de douloureuses protestations. Peut-être... peut-être... cette pointe de mystère qu'elle entre-voyait en lui... un point commun lointain mais apparemment crucial.

« Qui je suis... » murmura-t-elle pour elle-même.

Elle tardait. Et c'était un jeu risqué.

Suis-je Cassandre ? …

« Je suis Faily Muerte... Cassandre », compléta-t-elle, incertaine.

Prononcer ce nom à haute voix lui donna des frissons d'horreur. Elle abhorrait cette entité floue. Ou peut-être... était-ce elle-même qu'elle détestait, dans le cas échéant ? Non. C'était improbable. Elle ne voulait plus y penser... le mal montait au rythme que son trouble augmentait. C'était si peu envisageable... Chelsea Angel. Elle ne devait plus le voir. Il brouillait sa perception des choses. Il l'envoyait dans la mauvaise voie par sa simple présence.

Déni.

Un silence suivit sa question aux allures somme toute aussi innocente que légitime. La demoiselle n’avait certainement aucune envie de se retrouver la tête en moins, il ne faisait donc aucun doute qu’elle pesait ses mots. Charmant… Charmant, puant d’hypocrisie. Ce n’était pas comme si ce sentiment le dérangeait : l’hypocrisie, il connaissait pour en jouer lui le premier. Non, vraiment, cela l’amusait plus qu’autre chose : car quoi qu’elle fasse, il sentait la terreur qui émanait d’elle. Au fond, il avait conscience que la réflexion de la demoiselle n’engendrerait pas forcément de l’hypocrisie : mais ça devait l’amuser, de penser ainsi. Tordu ? Vous ignorez malheureusement à quel point. En même temps, il ne pouvait lui en vouloir : cela lui permit de songer un instant, lui aussi. Songer à la question qu’il avait posée. Pourquoi ne lui avait-il pas demandé tout simplement comment elle s’appelait ? Outre le côté un peu enfantin que possédait cette question, et la détestable impression qu’elle lui donnait, comme si elle avait pour double sens une promesse d’amitié, il sentait qu’un mystère se tramait. Il le sentait du plus profond de son âme, une nouvelle fois. Il ne lui avait pas demandé qui elle était pour rien. Peu à peu, il se rapprochait de la réponse, la contournait, en devinait les bords sans jamais l’atteindre, sans réussir à placer des mots dessus. C’était la vague qui s’échappait sitôt qu’il croyait la tenir. Et comme tout ce qui lui échappait, cela agaçait prodigieusement le jeune chef. Chelsea en venait à se demander pourquoi il avait posé une telle question quand la demoiselle attira, certainement bien involontairement, l’attention sur elle.

Elle murmura. Ce simple bruissement de voix lui suffit à se remettre sur le qui-vive, plus encore qu’il l’était auparavant car le fil de ses pensées avait été rompu. Visiblement, il n’était pas le seul à être troublé par sa question… Dans un sens, c’était très plaisant. Il aurait bien entendu préféré qu’elle soit la seule à être perturbée, c’est pourquoi il n’était pas entièrement satisfait. Certes, il réfléchissait à tout ce qu’il disait : mais la façon dont il le formulait ne lui venait que sur l’instant ou il parlait, d’où ses questions sur lui-même. Le mystère était d’autant plus frustrant qu’il le créait lui-même, et que la demoiselle semblait quasiment en transe tant la question de Chelsea l’avait perturbée. Or, il comptait sur elle pour lui apporter une réponse, non seulement à la question qu’il avait posée, cela allait de soi, mais également à la question qu’ils se posaient tous deux, au fond : pourquoi cette question ? Pourquoi ne pas lui avoir tout bêtement demandé son nom ? S’il ne souhaitait pas conserver au plus ses sentiments pour lui-même, il aurait certainement secoué la tête pour se débarrasser de ses pensées parasite. Il ne lui restait plus qu’une chose à faire, une chose qu’il détestait plus que tout au monde : attendre. Attendre qu’elle trouve la réponse, les réponses aux questions qu’il se posait. L’idée fugitive qui se glissa alors dans son esprit l’énerva très sérieusement : dans un sens, il dépendait alors complètement d’elle. Il aurait certainement fait un massacre de la jeune femme, mettant aux oubliettes le lien qui les unissait et mettant son impatience en avant pour se défouler sur elle, si elle n’avait pas répondu alors. Excellent timing, Cassandre, même si tu ne devais pas t’en douter.

Enfin. Enfin il saisissait. Elle avait décliné son identité d’aujourd’hui mais plus encore… Celle d’hier. Chelsea avait mainte fois entendu parlé de la réincarnation de Cassandre, sans savoir à qui elle correspondait : c’était un mythe, une légende qui courrait parfois sur les lèvres et qu’il savait saisit lors de quelques escapades nocturnes telle celle-ci, lorsqu’il allait à la rencontre de ses sujets alors même qu’ils ne se doutaient pas de qui ils avaient en face de lui. Cassandre. Sa colère retomba immédiatement. Alors le lien qu’ils avaient… C’était juste, c’était bêtement la réincarnation ? Il s’en voulut presque de ne pas y avoir pensé plus tôt. Et il se sentait éminemment victorieux. Il savait. Le jeune homme était satisfait, et ce bien que son expression, quelque peu camouflée par son capuchon, ne changea pas un poil. Il était tout à fait maître de ses émotions, à l’instant, tout simplement parce qu’il préférait exprimer sa colère à la joie qu’il avait actuellement : et donc, il restait totalement froid, indifférent, comme si la révélation que venait de lui faire la jeune femme ne l’intéressait pas. Son regard déjà chargé en intensité ne se fit pas plus perçant. Et maintenant qu’il avait enfin obtenu ce qu’il désirait, maintenant que l’image de la jeune femme était incrustée dans sa rétine, qu’il pourrait la dessiner pour compléter son dossier autour des réincarnations en attendant d’obtenir une photo, il prit une décision somme toute logique bien qu’assez injuste pour Faily qui n’était pas censée connaître la teneur de leur lien : il allait s’en aller, passer son chemin, rentrer chez lui.

Aussitôt dit, aussitôt fait, sans un mot l’indiquant au préalable, il reprit sa marche. Cependant, une fois à la hauteur de la demoiselle, il se pencha vers elle pour lui souffler, lui glisser à l’oreille, chose étrange de sa part, sans la moindre vilenie, sans bonté non plus, d’un ton glacé qui ne laissait rien paraître de sa soudaine bonne humeur, un conseil.

" Ne t’attardes pas sur ces terres. Si quelqu’un d’autre que moi te trouve, je ne donnerai pas cher de ta peau… "

Ce n’était même pas menaçant. Il se redressa ensuite pour reprendre sa marche calme. Une fois qu’elle fut derrière lui, il laissa apparaître sur ses traits le sourire satisfait qu’il retenait jusque là. Très plaisant… Cassandre… Il sentait qu’il avait tout intérêt à la garder en vie. D’ailleurs, après coup, il se rendit compte que son attitude était plus qu’étrange, surtout si elle avait deviné son identité – ce qui était fort probable au vu des prodigieuses capacités que Cassandre lui avait offerte. Une attitude protectrice, diraient certains. Et imaginer Chelsea protéger sciemment quelqu’un était, avouons-le, plutôt cocasse. Son sourire s’élargit à la pensée du contraste que son comportement actuel offrait par rapport à son être continuel : si elle n’avait été une réincarnation, si elle n’était pas liée à lui d’une façon ou d’une autre, elle ne serait certainement plus de ce monde… Ou, du moins, il l’aurait déjà mise à la porte, plus ou moins brutalement. Bien entendu, ce n’était pas pour son joli petit minois qu’il lui laissait encore un peu de répit. C’était pour servir les intérêts du clan foudre… Les intérêts du Grand Chef. Mais il savait que l’attitude qu’il venait d’adopter était à bien des égards intrigante. Peut-être voudrait-elle en savoir plus, elle aussi, et le retiendrait-elle pour cela. Il se demanda s’il la laisserait faire. Qui sait, cela pourrait se montrer intéressant…

Qu'est-ce qui, en ce monde, pouvait encore surprendre Faily Muerte ? Si peu de choses. Pourtant, Chelsea Angel, Chef du Clan Foudre, y parvint.

Il sembla reprendre sa marche mais s'arrêta une fois aux côtés de la voleuse. Ce geste engendra des millions et milliard d'interrogations dans l'esprit de celle-ci. Qu'allait-il donc faire ? Maintenant satisfait, maintenant qu'il avait obtenu la réponse à sa question, allait-il se débarrasser d'elle ? Un coup de lame bien placé, un petit geste traître aux intentions dissimulées si facilement exécutable. Rien de plus facile. Quelle proie accessible avait-elle toujours été, réalisa-t-elle. Aucun sur-entraînement ne la protégerait, ni protecteur dévoué ou quelconque autre folie. Peut-être, par instinct de survie, Cassandre se déciderait-elle à l'en avertir, mais elle ignorait encore si c'était une chose suffisante pour sa propre préservation. Se préserver. Ce qu'elle avait tenté de faire toute sa sainte vie, sans trop de succès. Sûrement faute de savoir comment, faute de moyens efficaces. Se préserver du vice, se préserver du mal, de la perversion. Elle avait fuit quelques-uns, mais quelques autres la poursuivait et s'élevaient au statut de « quotidien ». Mais pour l'instant, ces pensées parasites n'avaient pas lieu d'être et devaient vite être balayées. Elle devait se préparer, se concentrer, anticiper le geste à venir. Ses pensées défilaient à une vitesse effroyable. Comment réagir s'il dégaine un poignard caché ? S'il l'empoigne au cou ? S'il la bouscule au sol ? Son corps restait leste et paresseux, sans aucun réflexe en alerte, seulement détendu. Laisser transparaître des signes de nervosité était mauvais. Toujours mauvais. Comme les possibilités étaient énormes, Faily, malgré elle, se rabattit sur son don. En un laps de temps aussi court que sa réflexion, une brève vision s'imposa à son esprit.

Le géant se penchait sur elle et disait quelque chose. Les paroles étaient inaudibles mais ses lèvres bougeaient et très clairement. Aucun danger apparent. La vue focalisa brusquement sur la bouche de Chelsea. Elle devait porter une attention minutieuse à ce qui suivrait.
Alors, rapidement, Faily Muerte tendit l'oreille et le toisa du coin de l'œil.

« Ne t'attardes pas sur ces terres. Si quelqu'un d'autre que moi te trouve, je ne donnerais pas cher de ta peau... »

Un avertissement. Un conseil, une forte recommandation. La logique de l'augure se mit en marche. Alors la pensée qu'elle eut du haut des tours la rattrapa : on ne lui accordait de l'importance que pour son statut de réincarnation. Quoi d'autre ? Une vie va-nu-pieds n'intéresse personne. Ni même le cheminement jusque là. Les gens sont bien trop égoïstes. On lui avait froidement dit que les réincarnations étaient utilisées pour valoriser les Clans. Selon la réputation de Chelsea Angel, ce devait être l'unique raison de tels agissements. Selon sa réputation. Mais qui sait s'il y avait plus derrière le grand conquérant. Faily ne se risqua pas à aller si loin. Du moins, elle n'en avait pas l'intention.

La proximité du Chef accentua le champs d'influence de Cassandre sur celui-ci. Son don s'infiltra dans les méandres de son esprit, Faily put sentir de manière floue les remous houleux de son histoire avec des frissons d'horreur. Elle tenta de s'écarter, d'y abandonner Cassandre s'il le fallait, elle se refusait à entrer aussi profondément dans l'intimité des autres. C'était bien trop... personnel.
Et anormal. Outre chez lui, un pareil accès à autrui n'avait jamais été présent. Puis elle comprit : le fin, minime filament, le minuscule lien qu'elle avait entre-vu dans son aura avait servi de passage. Un passage direct vers son histoire, son futur. La voleuse ferma les yeux. Elle n'en voulait rien. Elle ne désirait pas savoir. Un détail l'accrocha cependant : réincarnation. Alors c'était ça.
Faily rouvrit brusquement les yeux et les leva vers son interlocuteur. Elle recula de quelques pas et prit une expression qui ne lui appartenait pas. Elle appartenait au passé. Hier. Lointain. Une expression... de dignité, de royauté et de sagesse. D'un ton pausé non-coutumier même si cela demeurait sa voix, elle demanda :

« Est-ce que ton passé te manque, Attila ? »

Son porté de tête avait changé. Sa prestance avait changé. La fusion était instable, momentané. Inconfortable. Désagréable. Elle maintint tout de même ce précaire équilibre. Elle attendait une réponse, ce qui ne l'empêcha d'ajouter :

« Le mien, si. Et je marcherai là où mon désir m'emportera, que les rois en soient témoins. Et donc, toi aussi, puisque tu en es un, aujourd'hui. »

Et aujourd'hui était un terme... relatif.

Et voilà. Il s’en allait, sans même savoir si elle savait qui il était. Cela était assez frustrant, quand même. Il aurait adoré savoir si oui ou non elle savait avec qui elle parlait depuis tout à l’heure. Mais tant pis. Et puis… Tiens ? Voilà qu’elle prit la parole. Et quelque chose avait changé, dans sa voix, dans son attitude. Il se retourna vers elle. Oui, il y avait un changement. Elle avait l’air bien plus sûre d’elle, bien plus noble… C’en était presque angoissant, un aussi brusque changement. Mais bien entendu, cela n’angoissa nullement notre chef. Lui, il se contentait, l’air toujours aussi indifférent, d’apprécier le spectacle. Comme c’était étrange… Il avait entendu dire que certaines réincarnations n’étaient pas comme lui, que toutes étaient spécifiques malgré leurs points communs. Lui, motivé par les même désirs de gloire et de grandeur, animé par la même flamme conquérante que l’homme de son passé lointain, ne faisait vraiment qu’un avec lui. Ils étaient ensemble, dans chaque respiration, chaque geste, chaque bataille. Peut-être parce qu’ils avaient un accord tacite, celui de rechercher plus de gloire encore… En tout cas, Attila ne faisait pas de bruits ni de remous en lui. Il était Attila, Attila était lui, et c’était tout. D’une seule voix, ils parlaient, et jamais l’âme ancienne ne semblait penser qu’il devait prendre totalement les rennes. Elle devait être plus faible, plus dissimulée que l’ardente âme de Chelsea. Ou leur accord faisait qu’il ne s’exprimait pas, qu’il était profondément ancré dans l’âme elle-même du chef des Foudres. Mais pour elle, c’était de toute évidence… Différent. Sa constitution fragile, son air malade, était-il le produit d’une lutte contre Cassandre, ou Faily avait voire était encore vraiment malade ? Interrogation profonde. A bien des égards, le lien entre Faily et Cassandre intriguait le chef. Il se demandait s’il ne pourrait pas en apprendre un peu plus, aujourd’hui. Sait-on jamais… Leur rencontre était elle-même une surprise aux yeux du chef du clan Foudre.

La question de Cassandre le tira de sa réflexion. D’ordinaire, qu’on l’appelle Attila, remontant à sa gloire passée en ignorant presque la présente, l’agaçait plus que de raison. Pour une fois, cela l’amusa plus qu’autre chose. Cassandre voulait donc une conversation de réincarnation à réincarnation, négligeant leurs réceptacles ? Ou alors elle trouvait cela plus festif de le nommer par son ancien nom. Cette rencontre finissait par avoir des airs de réunions de famille, de ce fait. Oh, nous n’iront pas jusqu’aux embrassades, hein. Mais deux membres d’une même famille, celle des réincarnations, qui s’étaient perdus de vue et qui profitaient du hasard d’une rencontre inattendue pour se tenir au courant l’un de l’autre, négligeant ceux qui les accompagnait… Bref. Son passé, n’est ce pas ? Son passé… Il n’en avait pas le moindre souvenir. Du moins, pas de souvenirs concrets. Il y avait ce nom, Balamer, mais à part cela, il y avait quelques songes qui lui étaient de temps à autres accordés… Oui, des songes rares, de gloire et de victoires, et son nom, son nom crié tantôt de la bouche d’une femme ou d’un enfant effrayé, tantôt de celle d’un soldat terriblement fier de son chef… Oui, les souvenirs n’étaient pas vraiment là. Mais après tout, il jugeait qu’il n’en avait pas besoin. Pourquoi s’attacher au passé ? Il était Chelsea Angel, aujourd’hui. Aujourd’hui. Alors qu’il réfléchissait vaguement à la question posée, Cassandre reprit la parole. Alors qu’il s’offusquait souvent que l’on s’en empare avant lui, il ne dit rien, ne protesta pas, n’en fut même pas mécontent. Et il retira son capuchon, chose qu’il n’avait pas faite jusqu’à présent. Maintenant qu’elle savait bien qui il était… Et puis, il commençait à avoir vraiment chaud. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’il répondit à la demoiselle.

« Aujourd’hui comme hier, Cassandre. Mon passé ? Je le reproduis, plus grand et plus fort qu’avant. Tout comme j’ai marqué l’histoire en tant qu’Attila, je la marquerais en tant que Chelsea Angel… Si tu le souhaites, je pourrais peut-être t’aider à accéder à tes rêves… »

Il n’avait pas répondu à la question, pas vraiment. Sur un plan strictement professionnel, on pourrait dire que oui, à peu près. Les sentiments semblaient inexistants. Et encore, même sur le professionnel… Il avait juste dit qu’il comptait bien retrouver la gloire passée, mais tout en lui accordant une touche de nouveauté… Car après tout, ce ne serait pas drôle, s’il ne s’agissait que du passé, n’est ce pas ? Oui, il ne répondait qu’à moitié. Mais elle n’aurait sûrement pas le droit de lui en demander plus à ce sujet. Quoi que… Cela devrait dépendre de la façon dont elle s’y prendrait. Pardon, sa proposition ? Oui, vous n’avez pas rêvé, Chelsea Angel avait clairement proposé son aide à Cassandre. En réalité, il pensait bien qu’avoir les faveurs des autres réincarnations ne pourrait que lui être bénéfique. Peut-être supposait-il pouvoir lui demander des choses en échange… Chelsea ne jamais quoi que ce soit pour rien. Oh, doué serait celui qui devinerait ses motivations… Pour le moment, il ne demandait rien, quoi qu’il en soit. Il voulait juste avec Faily Muerte/Cassandre de son côté, sans même qu’elle soit dans son clan – et avouons-le, cela restait d’autant plus drôle si la demoiselle se trouvait être dans un toute autre clan… Dommage qu’elle ne soit pas tempête… Bref. Qui sait s’il ne pourrait pas l’aider ? Après tout, il était puissant… Il pourrait exaucer presque tout ses souhaits, pas vrai ? En tout cas, telle était son idéologie.

L

« Élimine un dénommé Einos Ohze. Ramène-le ici, à son point de départ, sur l’Enfer-Céleste. Qu’il n’en ressorte plus, et j’accepterai de te joindre dans ta haute tour. »

« Mais je n’en serai pas plus ton pantin. »

Les rêves étaient un luxe accordés aux plus puissants. Ou du moins leur concrétisation. Telle était l’idée de Chelsea qui, s’il était né au bon endroit, dirons-nous, pensait qu’il devait son actuel poste à son talent de chef, de combattant, et non pas à son ascendance. Ce n’était pas tout à fait faux. Car jamais son père n’avait déclaré qu’il voulait voir son fils lui succéder et, si ce dernier avait sûrement enfoncé une paire de portes ouvertes, la tête du clan foudre ne lui était pas donnée pour autant. Il aurait pu en vouloir à son père pour cela également. Mais non, en fait. Car en tant que Chef, il comprenait cet ancien Chef. Il n’envisageait pas comme possible de céder son bureau et son poste, et ce même s’il avait un jour des enfants. Non, il était inconcevable que quelqu’un d’autre lui prenne sa place. Et même s’il savait qu’il n’était pas immortel, il comptait bien l’occuper encore un moment et marquer de sa griffe les pages de l’histoire pour les siècles à venir, si tant était que l’espèce humaine existerait encore d’ici quelque siècle. Quoi qu’il en soit, il comptait bien étendre les terres des foudres au maximum, et ce même s’il fallait écraser les autres clans : il préférerait bien entendu qu’ils se mettent d’eux même sous ses ordres, en quelque sorte, comme le clan Nuage l’avait fait, bien qu’il ne les dirige pas vraiment, mais s’ils ne lui laissaient pas le choix, il les anéantirait comme il l’avait fait avec le clan de l’Ouest. Et les Tempêtes étaient pour le moment dans sa ligne de mire.

Bref. Elle lui offrit une réponse idéale : elle avait compris ce qu’il attendait, qu’il ne faisait pas cette proposition par charité mais bien parce qu’il comptait avoir ses pouvoirs à disposition. Cette fille était donc suffisamment intelligente pour le comprendre un minimum… C’était aussi intéressant que potentiellement dangereux. Oh, il ne pensait pas du domaine du possible qu’il se retrouve piégé, manipulé par la réincarnation de Cassandre. Il se pensait bien trop intelligent pour se faire avoir aussi stupidement, et ce bien qu’il écouterait très attentivement les prévisions de Cassandre. Cela se révèlerait certes complexe, mais, au sens du chef du clan foudre, loin d’être impossible. Et puis, au moindre coup fourré, à la moindre embrouille… Parce que même si elle aurait son utilité, tant qu’il savait qu’elle n’était pas dans les mains des autres clans, en particulier des tempêtes, il pensait ne pas avoir à s’en faire. Bref. Elle lui demander donc de ramener un homme. Qui avait quitté le Céleste Enfer. Ouille, cela se révèlerait plus ardu que prévu. Il lui faudrait donc envoyer un homme de confiance puisqu’il ne pouvait se déplacer lui-même et qu’il ne pourrait contacter la personne qui rechercherait cet Einos. Il était donc nécessaire qu’il soit sûr que cette personne revienne. Or, il appréciait d’être entouré de personnes envers qui il ressentait un minimum de confiance – car pleine et entière, sa confiance n’était accordée qu’à son second, de qui il attendait malgré tout la trahison. Oui, son mode de pensée était étrange, mais que voulez-vous… Bref. Au pire, il pourrait exiger à Keilana qu’elle envoie un de ses hommes. Il trouverait bien une solution. Mais pour l’instant…

« … Donne-moi toutes les informations sur cet homme. Date approximative de son départ, clan auquel il appartenait, où il pourrait être, âge, physique, tout ce que tu peux et qui me serait utile. »

Il lui était nécessaire d’en savoir le plus possible sur cet homme. Il ne fit aucun commentaire aux derniers mots de la demoiselle. Car bien entendu, il aurait voulu se servir d’elle, en faire son pantin. Mais il pensait bien qu’à cause des pouvoirs particuliers de cette demoiselle, c’était peu probable, peu réalisable, peu évident, bref, trop complexe et trop risqué. Peut-être que plus tard, quand elle serait convaincue qu’une bonne fois qu’il n’avait pas forcément… Mais pour l’instant, la fixant d’un regard sombre et glacé, la voix toujours aussi gelée, il reprit la parole, un court instant.

« Mais attention, à la moindre entourloupe… »

Il passa ensuite l’ongle de son pouce droit contre sa propre gorge, assez lentement. Le geste étant très significatif, il ne l’accompagna d’aucune parole. Il la tuerait de ses propres mains aux premiers signes de pièges. Quels pièges ? Ils étaient multiples. Cet Einos pouvait fort bien ne jamais avoir existé, quoi qu’il en doutât vu l’hostilité qu’il ressentait du côté de Faily à son égard. Mais cela n’était peut-être qu’une mascarade grotesque qui lui ferait perdre du temps, ce qu’il ne supporterait pas. Elle pouvait aussi parfaitement feindre de se mettre de son côté pour finalement le trahir et livrer des informations aux autres clans. Aux Tempêtes, par exemple, chose qu’il ne supporterait pas du tout. Ou alors, elle pouvait, alors qu’il s’évertuait à retrouver la trace d’Einos, aller les voir pour rechercher une protection certaine et lui échapper. Il ne supporterait pas la trahison de la part d’une Réincarnation, du moins, pas de la part de celle de Cassandre. Car il en était autrement de la part de Sheen Everfield, le tempête : il ne lui avait pas encore fait face, s’étant servi d’intermédiaire, mais se méfiait de lui comme de la peste et savait pertinemment qu’il n’était rien d’autre qu’un sale petit traitre… Etrangement, il lui plaisait bien. Ne pas chercher à comprendre, surtout. C’était certainement parce qu’il savait à quoi s’attendre avec ce sale jeune. Et parce qu’il ne lui avait pas encore fait face, qu’il ne s’était aux dernières nouvelles pas fait trahir car il était souvent le plus offrant, aussi.

Toutes les informations sur Einos Ohze. Que pouvait-elle bien savoir, depuis le temps, à propos de ce salopard en règles ? Ah, il devait être sur un autre ilot de l'autre côté du globe, à poursuivre des rêves stupides et sans fondements. Son âge. C'est là qu'elle réalisa à quel point elle était restée ignorante, si peu assoiffée de réponses. Mais elle en avait tout simplement aucune idée ! Des informations ? Quoi, qu'il abhorrait les enfants et les responsabilités réelles, qu'il était un lâche et lui-même un bambin qui coure se cacher sous les jupes de maman lorsque cela devient trop sérieux, que le vent souffle trop fort pour monsieur ? Au moins, elle avait la certitude qu'il était du Clan Vent; peut-être aurait-il été un peu moins incompétent et empoté quand vient le temps d'assumer. Aiderait-il de savoir qu'il était pauvre ? Oh oui, Einos était pauvre. Il l'avait toujours été. Autant au sens propre qu'au figuré, c'en était aberrant. Peu après son départ de traître, Faily avait apprit qu'il croulait sous les dettes, que pratiquement tout ce qu'il avait pu lui offrir était sous crédit, que les emprunts étaient tous faits sous le nom de ses parents décédés... la pire des ordures. Quel être, à cet instant, aurait pu la dégoûter davantage ? Personne, sans équivoque.
Einos Ohze...
Un déchet pur et simple de la société. Elle aurait dû le pousser en bas des remparts de l'Enfer Céleste lorsqu'elle en avait eu le temps. Au lieu de cela, elle l'avertit du danger et l'empêcha d'aller se disloquer tous les membres en bas et de, peut-être, entendre le délectable écho de sa tête éclatant contre la parois indestructible que formera alors l'océan à cause de l'impact. Le frisson qu'elle ressentit à cette idée était délicieux. Qu'il souffre... tout autant qu'il était. Il s'était bien joué d'elle. Faily Muerte n'était pas de nature très rancunière. Cassandre, par contre, exigeait vengeance pour tous les actes passés visant à la faire souffrir. Chacun d'entre eux. Si Apollon osait pointer le bout de son nez et agiter ses plumes de paon charmeur devant les demoiselles de nouveau, cette fois-ci, il paierait, Dieu ou pas. Il paierait pour sa décrépitude, son isolement cruel. Mais il n'y avait qu'une opportunité qui s'offrait à elle dans l'immédiat : celle de faire crever Einos Ohze. Et ça, c'était inestimable.

Lorsque Chelsea Angel fit son petit geste de menace, la voleuse recula d'un pas et le toisa de ses iris électrifiant. À bien y repenser, il ne valait pas plus comme crapule; Dieu seul sait le nombre d'humains qu'il fit souffrir autant dans son passé que dans son présent. Ou pire, qu'est-ce que ce sera pour son futur ? Encore, elle imaginait, du sang. C'était sa nature et il semblait être en parfait équilibre avec cela. Faily n'en doutait pas une miette. Attila n'avait jamais été réputé pour sa clémence. Et c'était probablement mieux ainsi, s'il ne voulait pas finir son parcours un poignard dans la nuque. Ça aurait même pu être l'un de ceux de la réincarnation s'il avait tenté de l'enchaîner. Le suicide était encore une meilleur alternative que quitter le soleil de nouveau.
Mise à part cela, il n'y avait aucun moyen concret de savoir à quel point il pouvait bien la vouloir à ses côtés mise à part de le lui demander directement. Ses visions ne s'étendaient pas à ce sujet. Elle fronça ses sourcils bleus et leva le menton d'un air évaluateur. Ce n'était pas question de savoir s'il était assez puissant et influent pour exiger quoi que ce soit d'elle – m'enfin, cela se trouvait davantage à être du donnant-donnant, mais bon – ou encore assez charmeur comme homme en général. Uniquement de savoir si elle en tirerait profit ou si la faveur qu'il lui offrait en ce moment était la première et la dernière pour l'attirer derrière des barreaux où il l'utiliserait comme instrument à loisir. C'était un aspect non-négligeable.

Ainsi, elle lui tourna le dos – risque suicidaire – et, quelques pas plus loin, lui fit face de nouveau. Sa proximité la rendait un brin nerveuse. Il dégageait... de l'horreur.

« Ce que je sais de Einos Ohze. Eh bien, justement, il s'appelle Einos Ohze et c'est un salopard. Où il est, à cette heure-ci ? Dans les jupes d'une autre putain ignorante, je présume. Débrouille-toi avec son nom, Angel. Je n'en sais pas plus. Les archives de l'île sont bourrées d'informations à son sujet; il débordait de dettes. Et c'est un lâche, alors envoie tes meilleurs pisteurs. Dès qu'il saura que quelqu'un est à ses trousses, il disparaîtra, ça, j'en suis persuadée. Ne le laissez jamais savoir votre présence. Ou pire, la mienne. Alors là, il se terrait pour toujours. Comme le lâche qu'il a toujours été. » dit-elle avec haine.

Le plus grand mercenaire de l'histoire de l'humanité se trouvait devant elle, et elle l'employait à des fins meurtriers. Curieusement, cela lui fit du bien. Là-dessus, Faily pouvait lui faire confiance. S'il échouait – les chances étaient minimes – eh bien, il ne la reverrait plus. C'était une condition qui avait été émise. Simplement.

« Oh, et, je ne veux rien savoir de contrats où je devrais signer mon nom. Cassandre a été princesse mais je ne serai pas ton valet, compris ? Et ton Exécuteur, s'il m'approche, je verrai l'avenir pour ceux qui voudront voir le tien s'écrouler. Tu m'effraies, Attila. Comme tu effraies tout le monde. Ne t'avise pas de me toucher ou je m'éclipserai. La mort reste toujours une option pour m'évader, c'est clair ? »

Menacer de se suicider était étrange. Cela goûtait amer dans la bouche de la jeune voleuse. Très amer.

Alors que la demoiselle semblait rassembler mentalement ce qu’elle savait sur Einos Ohze – c’était en tout cas l’impression qu’avait Chelsea –, le chef du clan Foudre réfléchissait déjà à qui il pourrait envoyer à la recherche de cet homme. Il ne savait pas vraiment. Il fallait qu’il soit sûr de la fidélité de la personne, et qu’il s’assure que celui ou celle qu’il enverrait reviendrait quoi qu’il arrive. Il fallait aussi que cette personne soit suffisamment puissante pour être sûre de revenir. Or, Chelsea préférait garder les plus puissants éléments des Foudres sur le Céleste Enfer, histoire de les avoir sous la main dès qu’il lancerait la guerre contre les Tempêtes, chose qu’il jugeait absolument inéluctable – ou alors, bien moins probable, le jour où les Tempêtes déciderait qu’il était temps de s’en prendre à ce clan trop menaçant et à son chef, incarnation de la cruauté. A qui pourrait-il faire suffisamment confiance, et concernant ses capacités, et sa loyauté, pour l’envoyer au loin sans savoir s’il allait revenir un jour ? L’avenir du clan en dépendait fortement. Une fois encore, Chelsea s’agaça de ne pouvoir se déplacer lui-même. Il ne pouvait pas non plus envoyer son second. Restait… Drev. Le problème était, la concernant, qu’il ne savait pas jusqu’où irait sa loyauté. Cela ne faisait que très peu de temps qu’il lui avait confié le poste d’Exécuteur. Et avec elle, il ne pouvait pas se risquer au jeu dangereux des promesses illusoires et paroles enchanteresses. Elle ne serait sûrement pas dupe, et il souffrirait de la perdre, surtout qu’elle n’hésiterait sûrement pas à saigner le clan si jamais il faisait un faux pas avec elle.

Elle était cependant sans aucun doute la plus apte à y aller. Il ne doutait pas de ses capacités d’extermination – elle n’était après tout pas l’Exécuteur pour rien – et espérait bien qu’elle reviendrait là. Rien que pour savoir qui avait tué Keith Angel, oui, elle pourrait revenir. Car elle savait certainement qu’il détenait cette information. Ne pas la lui livrer était un moyen pour lui de la garder à son poste – et, accessoirement, de garder une santé impeccable et de ne pas se retrouvé saigné à blanc par la Faucheuse furieuse. Quoi qu’il en soit, il était bien tenté d’envoyer un autre de ses hommes avec elle. Faire semblant de créer un binôme pour, en réalité, que la deuxième personne surveille l’Exécuteur – et revienne lui faire un rapport, avec ou sans Drev. Mais le même problème que précédemment se posait, avec un second : d’abord, le plus mineur, comment réussir à tourner les choses sans que Drev ne soit vexée de se retrouver affublée d’un partenaire forcé. Le second et bien plus important correspondait au problème initial : à qui il pourrait bien faire suffisamment confiance pour l’envoyer avec Drev ? Fugitivement, l’image de l’un de ses hommes, drogué à la caféine, lui traversa l’esprit. Il fut à deux doigts d’esquisser un sourire moqueur en y pensant. Leowin Graham. Il ne l’aimait pas, ce dernier étant bien trop excentrique au goût du chef. Cependant, il semblait tenir à sa loyauté et à l’obéissance. L’idée de se débarrasser pour un temps du caféiné était séduisante, celle d’en profiter pour agacer Drev l’était d’autant plus. Mais comme il préférait ne pas retrouver ce pauvre dingue sans tête et se faire haïr par son Exécuteur, il éviterait. Dommage, pensa-t-il un instant avant de se reconcentrer pleinement sur les dires de la réincarnation de Cassandre.

Elle lui tourna le dos, un instant, afin de s’éloigner un peu de lui. Cet acte pourtant plutôt anodin eu le don de l’agacer. Se croyait-elle totalement hors de danger en sa présence, immunisée ? Le pire, si telle était sa croyance, était que c’était le cas tant qu’elle ne dépassait pas des limites assez floues dans l’esprit de Chelsea Angel. Et il en avait bien conscience. A cette pensée, son regard s’assombrit. Paradoxalement, il ne regretta pas cette entrevue : s’il réussissait à avoir Faily Muerte de son côté… Les jeux préliminaires de la guerre qu’il projetait étaient déjà lancés, c’était une certitude dans son esprit. Qu’il parvienne enfin à la lancer dans six mois, un an, deux ans, dix ans, peu importait à l’instant : elle était presque déjà commencée. Il avait quoi qu’il en soit tout intérêt à avoir la réincarnation de Cassandre de son côté, persuadé qu’elle serait un avantage certain. Mais la réponse qu’elle lui offrit l’agaça quelque peu. Il devait donc se débrouiller seul. Très bien, il le ferait. Si elle lui lançait cela comme un défi, il le relèverait haut la main. Il entamerait des recherches sur Einos Ohze, il trouverait où il s’était enfui, et il le ramènerait par le biais d’autres personnes du clan sur le Céleste Enfer, mort. Le souhait de Faily aurait été réalisé, elle pourrait donc se ranger de son côté. Oh, il aurait espéré recueillir d’elle une loyauté et une reconnaissance sans failles. Mais il voyait très bien qu’elle ne serait pas de ceux chez qui il pourrait retrouver ces qualités. Pas envers lui, en tous cas. Quoi qu’il en soit, il s’arrangerait pour donner l’impression qu’il s’agissait bel et bien d’un échange et non d’une utilisation des dons de la demoiselle : mais d’échange, pour Chelsea, ce n’en avait que les apparences. Il allait le lui trouver, son Ohze, le lui tuer, le ramener, et pourquoi pas lui rendre quelques petits services mineurs à côtés. Mais si elle pensait que l’échange était juste, aux yeux de Chelsea, elle se trompait cruellement : il n’aurait pas joué à cela s’il ne pensait pas que cela en valait la chandelle, qu’il était nettement avantagé par rapport à elle. Il était persuadé qu’il réussirait parfaitement à atteindre ses objectifs, en partie grâce à Faily, et cela comptait bien plus qu’une ou deux faveurs meurtrières.

Voilà déjà qu’elle se remettait à lui dire qu’elle ne serait pas à sa botte. Il leva les yeux au ciel, exaspéré. C’est bon, il avait compris, il n’était pas stupide, inutile qu’elle le dise si souvent. Ce premier signe d’agacement était synonyme de danger pour Faily : il avait, pour le moment et le connaissant, conservé une patience exemplaire. Dès qu’il commençait à perdre patience, les choses se corsaient souvent pour ses interlocuteurs. Elle eut cependant la chance de préciser à quel point il l’effrayait. Oui, elle fit bien. Il tira un plaisir malsain de l’idée qu’il faisait peur à tant de monde. Il était ainsi sûr que personne ou presque ne serait suffisamment dingue pour s’en prendre à lui. Le règne par la terreur était la voie qu’il avait choisie, ignorant toutes les autres possibilités pour à la fois diriger et se protéger. Souvenir d’enfance lointain et refoulé où il n’était pas aussi puissant ni aussi craint qu’à ce jour. Oui, il jugeait qu’il avait bien choisi sa façon de diriger : preuve en était qu’il était à la tête du clan Foudre depuis un certain temps déjà. Certes, il n’était pas apprécié par tous, certes il effrayait beaucoup, comme l’avait indiqué Faily : et alors ? Tant qu’il restait sur le trône, il n’y voyait absolument aucun inconvénient. La dernière menace le fit sourire intérieurement. Le suicide, hein ? Après tout, ce ne serait pas une si mauvaise idée. Si lui ne pouvait avoir Faily Muerte, qu’elle se suicide : ainsi, personne d’autre ne l’aurait. Pensées mauvaises mais néanmoins tout à fait justifiées, à son sens. Il n’avait pas nécessairement besoin d’elle – c’était une chose à laquelle il refusait de s’abaisser – mais il refusait de la voir alliée à un autre clan. Si jamais la collaboration entre Cassandre et Attila se passait mal, et bien, il ne serait pas gêné de la voir disparaître, pensait-il.

« Tu n’as pas à me craindre tant que tu ne t’avises pas de me trahir, Faiy Muerte. Drev ne te fera rien si je ne lui en donne pas l’ordre. Encore une fois, avise-toi seulement de tenter de me trahir et je peux t’assurer que tu seras morte dans les heures qui suivront. Je ne supporte pas la trahison, c’est clair ? »

Question qui n’attendait pas vraiment de réponses, à vrai dire. Avait-il vraiment besoin de le préciser, d’ailleurs ? Depuis quelques instants il insistait énormément sur ce point, justement parce qu’il avait une importance capitale. Oui, ça l’embêterait de tuer Cassandre alors qu’elle pouvait lui offrir des choses si… Intéressante. Elle risquait aussi de faire accroître sa paranoïa, mais ça, c’était un autre cas auquel Chelsea ne songea pas un seul instant. De toute façon, il était depuis longtemps prêt à sacrifier une partie de sa raison pour le trône. La trahison était bien ce qui lui faisait le plus peur, mais en réalité, il ne risquait d’être trahi au sens premier du terme par une seule personne, son second, car il était le seul à qui il daignait accorder de la confiance. Néanmoins, la trahison prenait avec lui un sens plus général, et tous les gens engagés avec lui dans une affaire quelconque étaient à ses yeux des traitres potentiels. Paranoïaque de premier choix, oui. Preuve en était qu’il ne se détourna pas, cette fois, en reprenant la parole.

« Je te recontacterais quand il sera de retour. »

Einos Ohze de retour, mort ou vif, oui, lui suffirait pour réclamer Cassandre à ses côtés, pas vrai ? C’était en tout cas ainsi que le voyait Chelsea. Ne venait-il pas de passer un accord avec Faily qui lui assurait de jouir des dons de Cassandre à partir du moment où il aurait accompli l’assassinat qu’elle lui avait réclamé ?

» Chelsea Angel
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