Tu ne sais jamais sur qui tu peux tomber.. || FREE.

# Dieu accorde quelquefois le sommeil aux méchants afin que les bons soient tranquilles. #
Jean-François Saint-Lambert

Murmure.
Keilana n’était que le souffle léger de la brise dans la nuit étoilée.
Pareille à au murmure du vent, légère comme les nuages, elle parcourait l’Enfer Céleste à sa guise, comme elle l’avait toujours fait. Plus encore maintenant qu’elle était sensée s’être alliée avec ces crétins de Foudre. Pour mieux poignarder Chelsea Angel dans le dos, le jour venu, même si elle gardait ses projets pour elle. Non, personne, pas même son second ne devrait être au courant, pour la simple et bonne raison que, mieux que quiconque, elle savait combien l’information n’était pas à donner à la légère. Si jamais le vent de la trahison venait à se répandre dans le Nord avant qu’elle ne mène à bien son assassinat, tous les sacrifices auraient été vains. Or, elle n’attendait que cela, le jour où elle pourrait libérer le Céleste Enfer de son Tyran, de ce monstre assoiffé de conquêtes. La partie la plus sombre de personnalité frémissait d’ores et déjà d’excitation à l’idée de sentir sa dague se planter dans son cœur encore palpitant et elle se voyait déjà lui offrir son plus beau sourire carnassier, dévoilant la facette de l’assassin qu’il n’avait jamais aperçue jusque là.
Angel ne perdait rien pour attendre.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agissait pas d’une mission.
Il fallait croire qu’avant l’évènement annuel, peu de gens demandaient la mort de son voisin. Les chefs Vents de génération en génération n’avaient peut être pas eu tord d’organiser ces combats aux arènes. Cela semblait grandement calmer le jeu, l’espace de quelques semaines. Néanmoins, Keil’ ne se faisait pas d’illusions : personne ne parviendrait à supprimer les conflits avec de simples affrontements arrangés. Ce n’était là que douceâtres illusions, ou perfide mensonges, tout dépend du point de vue. Si on permettait aux belligérants de se taper dessus dans une arène, qu’il y ait un ou deux morts de façon plus ou moins autorisée suite à un combat qui dégénère, c’était bien beau tout ça, mais dénué d’intérêt profond. La mentalité des gens ne changeaient pas : on ne faisait que rendre plus naturel encore les horreurs que l’on pratiquait sur les champs de batailles et dans les ruelles des bas fonds. D’ailleurs, cela n’était plus vraiment ainsi de nos jours, les meurtres pouvaient avoir lieu au beau milieu de la rue. Eh, oui. Les Foudre ne savaient plus se tenir. Et les innocents ignoraient ce qu’était un monde paisible. La jeune femme plaignait vraiment tous ces gens qui croyaient vraiment à ces vaines tentatives, qui fondaient quelques espoirs en ce calme relatif.
Espoirs qui ne seraient jamais assouvis, ne donnant lieu qu’au néant.

En temps normal, notre chef Nuage se serait rendue à la chasse aux informations.
Il fallait croire qu’une si belle nuit n’y était pas tellement propice. Il se trouvait être bien intéressant de déambuler et flâner à sa guise, là où elle pourrait peut-être trouver un semblant de paix. Ou carrément quelque chose de très intéressant. Elle avait d’abord erré dans le Centre, histoire d’observer, son regard onyx scrutant les au plus profond des âmes, tout en affichant un je-m’en-foutisme éloquent.
Puisqu’elle se trouvait en ville, elle s’amusa, car s’entrainer ne faisait de mal à personne. Se fondre dans la foule, se glisser parmi les êtres ordinaires sans se faire remarquer, leur apparaître comme un individu tout à fait normal… Cela signifiait bien entendu ne pas marcher en silence, ne pas avoir une démarche trop fluide, ne pas paraître trop agile. Ne pas se détacher du lot, ni se distinguer tout en gardant une identité propre. Ou alors, au contraire, se laisser englober par les Ténèbres, s’envelopper d’ombres, pour longer les murs invisible aux yeux de tous.
Parfois, Keil’ se plaisait à se rendre « visible » d’un coup, devant un cobaye de son choix.
Car, surprendre était le propre d’un Nuage.

Ses pas la menèrent naturellement aux frontières de l’Ouest.
Elle croisa quelques membres du clan Foudre, auquel elle ne donna pas l’occasion de la voir, évidemment. Il ne manquerait plus qu’elle dût décliner son identité ou assommer des gêneurs pour se rendre où son instinct lui dictait. Il y avait bien des chemins, bien des façons de se glisser là où personne ne le soupçonne, bien des manières d’utiliser son agilité féline, plus encore de ruser afin d’obtenir ce que l’on veut. Presque autant que de technique pour tuer un homme. Intéressant à savoir, n’est-ce pas ?
Keil’, en tout cas, est bien de cet avis.

Les vestiges de l’Ouest étaient toujours aussi fascinants.
Il était grisant de se perdre dans ce dédale de pierres et de débris, de caresser chaque surface, tout en sachant que le sang s’y était écoulé, aussi bien celui des Foudre que celui de l’ancien peuple de l’Ouest. Si beaucoup pouvaient trouver cela un peu glauque, Keilana ne s’y trompait pas : aucun ne pouvait prétendre n’avoir jamais éprouvé cette fascination morbide pour de telles choses. Encore moins en des lieux tels que le Céleste Enfer, ne croyez-vous pas ?
On ne vous parle pas là d’un sadisme comparable à celui de l’Exécuteur ou de la réincarnation d’Attila qui savourait sa victoire. Non, il s’agissait plutôt d’une sorte de compassion, de devoir de mémoire et de curiosité concernant les individus qui, autrefois, jouissait encore des privilèges de l’existence et, le lendemain, se voyaient massacrés sans vergogne à cause de la cupidité d’un homme haut placer, prémices d’une ode à l’horreur, de la terreur qui se répandait peu à peu sur la Cité Volante.

Un frottement.
Bruit furtif, presque inaudible dans la noirceur de la nuit parvint aux oreilles de Keil’. Elle songea à instant à se glisser discrètement jusqu’à l’importun. Puis, après une brève réflexion, elle avisa qu’il serait plus correct de s’annoncer, comme les veulent les règles de l’Art. Après tout, elle pourrait toujours fuir si le besoin se présentait. Quoi qu’il y avait peu de chance pour que cela arrivât.
Ce fut donc volontairement qu’elle fit du bruit en se déplaçant. Infime, tout d’abord, puis de plus en plus fort. Un test ? Certainement.
Quelle ne fut pas la surprise de notre jeune chef lorsqu’elle se rendit compte que la personne située à quelques mètres de là l’avait entendue si vite ! Peu de gens avaient l’ouïe aussi fine en dehors des Nuages. Puisqu’aucun membre de son Clan n’était sensé se trouver ici, qu’elle connaissait déjà les projets d’Angel pour cette nuit, que Ragziel Howell avait une réunion avec les anciens, il ne lui restait pas beaucoup de choix. Drev peut-être ? La croiser deux fois dans la même semaine n’était pas vraiment des meilleures surprises, surtout que le Fléau devait lui en vouloir pour la raclée qu’elle lui avait mise précédemment.
Enfin, de toute manière, on ne sait jamais sur qui l’on va tomber.

Ayant aisément repéré le muret derrière lequel se tenait la personne qui lui était encore inconnue, elle s’y glissa sans un bruit, parfaite dans son rôle d’assassin. Sans se faire voir, grimpa dessus toujours dans le silence le plus complet, si bien qu’elle pouvait distinguer le souffle de la jeune femme. Car, désormais, elle pouvait apercevoir cette dernière, et surtout sa chevelure. Difficile de ne pas la reconnaître, à présent.
Et cela serait très vite réciproque, puisque Keilana avait masqué le bas de son visage comme elle avait l’habitude de le faire aux rares évènements où tous les Chefs et Seconds se réunissaient.

Elle lâcha d’une voix claire empreinte de flegme, brisant le silence nocturne, afin de surprendre la jeune Seconde qui n’avait pas du la percevoir jusque là :

« Prudence Gail Wells, qu’elle surprise. »

Elle se décala sur ses gardes : elle n’oubliait tout de même pas que son vis-à-vis était armé et qu’il pourrait lui prendre l’envie de lui tirer quelques balles dans la tête ou en plein cœur. Auquel cas, elle devait être prête à esquiver, n’est-ce pas ?
Puis, après tout, elle la provoquait : elle devait bien être la seule personne sur l’île à part Ragziell à connaître le nom que sa mère lui avait donné.

Spoiler:

# Surprise également. Keilana Haze. #

Omniscience.
Un sourire énigmatique se dessina furtivement sur les lèvres de Keilana. L’information était de loin l’arme la plus utile qu’elle n’ait jamais manipulé. Et elle la maitrisait à la perfection. Encore une fois, il s’agissait du propre du Nuage.

Dans le fond, Keilana trouvait Prudence assez amusante. Cette dernière s’était montrée très habile lors de leur première rencontre – car, première rencontre il y avait eu, autrement, la jeune Tempête n’aurait pas été en mesure de connaître l’identité de la mystérieuse Chef des Nuages. Oui, Prudence était quelqu’un d’intéressant à observer. Cette manière qu’elle avait de balancer entre ce côté juvénile et son sérieux démesuré, sa façon de prendre au sérieux cette rencontre… Cela lui donnait très envie de la taquiner, de faire apparaître une facette de sa personnalité qu’elle réservait à une élite. Peut-être était-ce Keil’ qui avait un problème : après tout, elle faisait face au Second des Tempête et ne parvenait pas à la prendre totalement au sérieux, sans la sous-estimer pour autant. Plutôt ennuyeux. Parce qu’à agir ainsi, même elle, un jour, s’attirerait des ennuis.

Le silence avait quelque chose de reposant, fascinant.
Dans l’obscurité ambiante, Keil’ n’aurait eu aucun mal à glisser sans un bruit, lentement. Elle aurait bien voulu menacer Prudence. En une fraction, elle se serait glissée dans son dos, l’aurait désarmée, aurait posé la lame glaciale de son stylet sur sa jugulaire, lui aurait offert un beau sourire carnassier, un murmure provocateur… Mais, ce n’était pas la meilleure option, elle le savait. Puis, qu’elle pointe son arme ainsi sur elle et qu’elle se comporte de manière aussi défensive faisait plus rire la Nuage qu’autre chose. Elle parvenait tout juste à masquer son sourire narquois, et ses prunelles d’onyx brillaient d’un éclat malicieux. Elle décida de jouer la nonchalance, une manière de se moquer gentiment d’elle.
De toute façon, quoi que Prudence tente, elle n’aurait aucun mal à l’esquiver. C’était le problème des armes à feux : le cliquetis discret de la gâchette et la trajectoire des balles les rendaient trop prévisibles. Enfin, pour Keil’.

Doucement, Keilana Haze se laissa tomber en tailleur sur le muret qui lui servait de promontoire, pour se trouver pratiquement à la hauteur de Gail. Mais malgré les apparences, la jeune Chef était prête à toute éventualité. Aucun de ses muscles n’était relâché et mentalement, elle avait repéré chacune des issues possibles, chacun des mouvements que cela impliquait. Le long silence lui avait permis aussi de réfléchir aux multiples possibilités qui s’offraient à son vis-à-vis. Un jeu d’échec grandeur nature où sa propre existence était de mise.
Un réflexe, un simple réflexe qu’étudier tous les coups à venir, pour Keilana. Elle agissait toujours de la sorte, son esprit vif de Nuage lui permettant de ne pas relâcher son attention, sans pour autant perdre de vue ses objectifs, ses mouvements, le fil d’une conversation ou simplement le rythme cardiaque de sa proie ou son adversaire.

Et son regard d’onyx ne vacillait pas.
Ayant perdu tout son flegme, il était aisé de lire dans ses provocations amusées, attendant un instant plus propice à la conversation –qui ne viendrait peut être pas.

Eh Gail ?
Tu veux tirer ?
Je me ferai un plaisir d’esquiver.
J’ai étalé le Fléau.
Et toi ?

Oui, Keil’ s’amusait du sort qu’elle avait réservé à Drev.
L’Exécuteur était à la fois si semblable à Gail… Et l’inverse. Prudence pouvait au moins se vanter d’avoir encore une part d’enfance, de bonté en elle, malgré son caractère belliqueux. Katelyn n’était plus que l’ombre d’elle-même, une tueuse assoiffée de sang. Mais elles étaient toutes les deux aussi habile au combat. Elles partageaient une même composition dans leur nom. Elles avaient des réputations semblables.
Elles avaient le même niveau.
Keil’ songea à aller voir Chelsea, à lui proposer de les faire s’affronter au tournois. Cela promettait d’être un spectacle divertissant, époustouflant. La foule ne s’en remettrait pas. Cela permettrait aux deux belligérantes de se faire face, d’asseoir leur pouvoir qu’importe qui gagnerait. Le seul ennui, ce serait de faire cesser le combat. Il n’était pas dit que l’une d’entre elle veuille lâcher le morceau, si bien qu’elles pourraient bien parvenir à s’entretuer, à moins que les chefs interviennent sur l’arène. Et il serait difficile de faire oublier la vengeance à ces têtes de mules. Les faire suivre constamment n’allait pas être de tout repos… Mais l’une d’entre elle outrepasserait les ordres, et elles finiraient par se battre à nouveau.

Les pensées de Keilana s’estompèrent, peu à peu, et les minutes s’enfuyaient encore et encore, inlassable flots du temps. Voilà l’ennui qui s’installait, vil et poisseux, si bien que la Nuage décida qu’il était temps qu’elle y mette un peu du sien, car on ne pouvait pas tellement compter sur Prudence pour mettre un peu d’ambiance, sauf à l’aide de quelques habiles tirs.
Elle prit donc enfin la parole, quelque peu blasée :

« Tu ne voudrais cesser de me pointer avec ton arme ? Tu ne me toucheras pas de toute façon. »

Féline, elle étira ses bras vers le ciel, et observa une fraction de secondes les étoiles, magnifiques joyaux dans leur écrin de velours noir. Oui, Keil’ aimait la nuit, autant que les nuages défilant sous le Céleste Enfer. Elle reprit :

« Dis, ça te dirait d’affronter l’Exécuteur au tournois ? »

Parce que, tant qu’à faire, demander à la concernée était de loin le chemin le plus direct à la bonne entente. Quoi qu’il fût bien rare que Keilana passe par ce genre de politesse. Il était fréquent d’oublier les bonnes manières, lorsque l’on agissait constamment dans l’ombre.
Keilana posa ses coudes sur ses genoux et son menton vint se glisser entre ses mains habiles. Un semblant de sourire sembla fleurir sur ses lèvres blafardes et son regard recelait l’éclat d’un intérêt non feint.

Rares étaient les moments où Keil’ se comportait de la sorte.
Comme quoi la nuit est bien maîtresse des mystères.